"Le sol est glacé,
Telle est la pensée qui me vient, alors que je suis allongée là,
Le front contre la pierre, les bras en croix.
Aujourd'hui, je choisis cet endroit comme demeure éternelle,
Je prononce mes voeux perpétuels. Tel est mon choix.
Entre ces murs, je vais passer ma vie.
J'ai voulu me soustraire au monde, pour mieux en faire partie.
Je suis à la fois en son coeur, et loin de lui.
Je me sens plus utile ici que dans les faubourgs animés qui m'entourent.
Dans ce cloître où le temps a arrêté son cours,
je ferme les yeux et je prie.
Je prie pour ceux qui en ont besoin,
Ceux que la vie a blessés, entamés,
Laissés sur le bord du chemin.
Je prie pour que ceux qui ont froid, qui ont faim
Qui ont perdu l'espoir, qui ont perdu l'envie,
Je prie pour ceux qui n'ont plus rien.
Ma prière s'élève d'entre les pierres,
Dans ce jardin, ce potager, cette chapelle glacée en hiver,
Cette cellule minuscule que l'on m'a attribuée.
Vous qui passez dans ce monde,
Poursuivez vos chants et vos rondes,
Je suis là dans le silence et l'ombre,
Et je prie pour qu'au milieu du fracas et du bruit,
Si d'aventure, vous venez à tomber,
Une main se tende, douce et puissante,
Une main amie,
Qui vous agrippe et vous relève
Et vous renvoie sans vous juger,
dans le grand tourbillon de la vie,
Ou vous continuerez à danser."
Soeur Anonyme,
Couvent des Filles de la Croix (19e siècle)